La République démocratique du Congo va-t-elle déraper comme lors du dernier mandat de Joseph Kabila ? C’est ainsi que le dernier quinquennat s’est transformé en septennat pour finalement déboucher sur les « élections les plus sales de l’histoire du pays », pour reprendre les termes d’un historien congolais. Constitutionnellement, les prochaines élections présidentielles et législatives doivent avoir lieu avant fin décembre 2023, soit dans un peu plus de 15 mois. « Impensable ». « Irréalisable, sauf à tout faire », disent en substance et avec la même conviction tous les experts électoraux, acteurs politiques et diplomates avec lesquels La Libre s’est entretenue.

Quels que soient ces avis et ces doutes, le président Tshisekedi, qui a annoncé à mi-mandat qu’il serait candidat à sa propre succession, persiste et signe : il respectera les délais et donc la Constitution.

Denis Kadima Kazadi, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), poussé à la tête de cette institution par le président de la République, ne dit pas autre chose – ou presque. Depuis son arrivée cahoteuse à la tête de la Ceni, cet expert électoral martèle, comme il l’a encore fait début septembre lors d’une conférence-débat au centre d’accueil kibanguiste de la commune de Kasa Vubu à Kinshasa, qu’il sera dans les temps. « Nous ne déraperons pas. Nous allons nous battre avec vous pour avoir des élections en 2023 ». Mais, et cela sème le doute, l’homme a pris l’habitude de déclarer que, quelle que soit sa « détermination », « son travail et celui de son équipe », il reste tributaire de la situation politique (parfois compliquée et qui ne facilitera pas la perspective d’un scrutin) et sécuritaire (les deux provinces en état de siège, notamment, sont régulièrement secouées par des épisodes de violence). Ces menaces qui planent sur les élections n’ont certes pas disparu – loin de là – mais Denis Kadima Kazadi les souligne moins aujourd’hui qu’au début de son mandat. Ainsi, en février 2022, lors d’une de ses premières sorties officielles après sa nomination, où il présentait sa feuille de route, il expliquait que « l’insécurité dans certaines zones du territoire national peut bloquer le déploiement de matériel, de personnel et la collecte de données ». Il a poursuivi en évoquant de fortes contraintes budgétaires. « La non-reconnaissance de l’autonomie financière de la Ceni porte atteinte à son indépendance. A cela s’ajoute l’incertitude quant au décaissement des fonds par le gouvernement ». Quelques mois et quelques coups de bâton du ministre des Finances plus tard, Denis Kadima Kazadi, moins critique envers l’exécutif, reconnaissait début septembre : « Pour l’instant, nous recevons l’argent avec un peu de retard ». « Plus de trois mois de retard en 2022 », a expliqué un membre de la Ceni. « Jusqu’à présent, 240 millions de dollars ont été décaissés cette année (le ministre des Finances Nicolas Kazadi a avancé le chiffre de 238 millions de dollars lors de la première réunion du cabinet en septembre, ndlr). Cela ne couvre que les opérations et les frais de fonctionnement de janvier à début juin », poursuit l’un des adjoints de Kadima, qui rappelle dans la foulée que le budget de ces élections pour 2022 est de 640 millions de dollars.

Les Congolais de Belgique pourraient voter.

En février, le président de la Ceni avait annoncé qu’une élection présidentielle à deux tours n’était pas possible et qu’il fallait aussi oublier le vote des Congolais de l’étranger. Un deuxième point sur lequel il est partiellement revenu, notamment lors d’une table ronde à l’hôtel Memling à Kinshasa fin août. Si tous les Congolais de l’étranger ne pourront pas voter (notamment ceux qui vivent dans les pays frontaliers), les Congolais de l’étranger vivant en Belgique, en France, en Afrique du Sud, au Canada et aux Etats-Unis devraient pouvoir voter, car « l’état civil y est plus ou moins bien géré », selon Denis Kadima Kazadi.

Les raisons d’y croire

La volonté affichée par les autorités congolaises et la pression internationale.

Les Etats-Unis, qui avaient un temps laissé entendre qu’ils pourraient accepter un retard de 6 à 9 mois, se montrent désormais moins conciliants. Le ministre des Affaires étrangères Antony Blinken, en visite à Kinshasa les 9 et 10 août, l’a clairement rappelé à ses hôtes : Washington attend des élections démocratiques, équitables, inclusives et dans les délais, et a rappelé que son pays avait déjà sorti 23,75 millions de dollars pour soutenir ces élections, notamment « pour renforcer la transparence et l’administration électorale et permettre à la population de participer de manière significative aux élections et aider les communautés marginalisées à comprendre les processus politiques et à y avoir accès ». Antony Blinken a également insisté sur « la transparence du décompte des voix et de la proclamation des résultats ».

Mal élu en décembre 2018, le président Tshisekedi rêve de prolonger son bail et sait qu’il doit donc tenter de répondre au mieux aux exigences américaines – tout en assurant sa réélection.

Des raisons de douter

L’opposition politique, les représentants de la société civile, certains diplomates ainsi que des experts nationaux et internationaux doutent de la faisabilité de ce processus dans les délais impartis.

« Même s’il y a une réelle volonté politique d’organiser de vraies élections, ce qui n’est pas clair », explique cet observateur africain rencontré le mois dernier à Luanda, en Angola, « il est difficilement envisageable d’organiser de vraies élections en RDC dans un délai de 16 mois. Le temps nous est compté ».

Ce sentiment est confirmé par un expert européen qui a « vécu plusieurs scrutins en RDC et quelques-uns dans les pays de la région » et qui explique : « Le bon de commande des kits d’inscription des électeurs (coût du contrat : 92.752.929,52 USD) a été signé le 18 juillet. Kadima voulait commencer cet enregistrement en décembre, il est même devenu mi-décembre. Il veut la terminer en quatre mois. Il faut se rappeler que lors des dernières élections, qui ont été les plus efficaces de ce point de vue, 20 mois ont été nécessaires pour cet exercice. Le faire en quatre mois relèverait du miracle ».

Un dernier rapport de l’ONU parle au contraire de 640 jours (21,3 mois) nécessaires à la Ceni pour organiser les élections à partir de la promulgation de la nouvelle loi électorale, ce qui nous amènerait dans le meilleur des cas à mai 2024. Il rappelle également que « la Ceni n’a toujours pas publié de calendrier électoral ni de budget électoral (documents obligatoires une fois publiés, contrairement à une feuille de route) ».

Plusieurs voix soulignent la complexité de cette inscription dans un pays où l’état civil… « déficient » pour les uns, « inexistant » pour les autres, sans parler des « millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison de la violence et des conflits ». Dans un rapport d’août 2022, le HCR a chiffré le nombre de déplacés internes en RDC à 5,6 millions.

D’autres ont souligné que l’État ne pouvait plus compter sur l’aide logistique de la Monusco pour cette élection. « La dernière fois, la Ceni, dirigée par Corneille Nanga, avait bénéficié du soutien logistique de la Monusco, notamment pour aller chercher les kits d’inscription des électeurs au port de Dar es Salam en Tanzanie. Je me souviens en particulier de l’Iliouchine 76 qui a effectué ce transport. Cela nous a permis de gagner au moins deux semaines. Ensuite, la Monusco n’a plus été mobilisée pour le déploiement des machines à voter et des urnes ». Cette fois-ci, le mandat de l’ONU ne prévoyait toutefois pas de soutien logistique. « Les coupes budgétaires et autres restrictions ne permettront pas à la Monusco d’intervenir, ce qui prolongera encore le processus ».

Du côté de la Ceni, on souligne les 30.000 kits commandés pour cet enregistrement des électeurs. « Du jamais vu ! Cinquante pour cent de plus que la dernière fois ». Cela permet de gagner un peu de temps, mais passer de 20 à 4 mois, aucun expert n’y croit.

Du temps pour le nettoyage

L’inscription des électeurs est l’une des étapes qui prend le plus de temps, mais ce n’est pas la seule. « Quand on a la première ébauche de ce fichier, ce n’est qu’un brouillon sur lequel il faut repasser soigneusement. Dans la ville-province de Kinshasa, plus de 4,5 millions d’électeurs sont inscrits. La vérification de ce fichier prend beaucoup de temps, mais elle est nécessaire et même vitale si on veut avoir une élection crédible », explique un fin connaisseur des processus électoraux congolais, qui a travaillé à la Ceni lors des élections de 2006 (« la plus crédible »), 2011 et 2018, mais qui ne sera pas là cette fois-ci « par lassitude ». « Il ne faut pas oublier qu’il est fréquent que les Congolais aient plusieurs cartes d’identité. Ce n’est pas très compliqué. Il suffit par exemple de se tromper de doigt lors de la prise d’empreintes. Cela arrive souvent. Cela ne veut pas dire que ces gens sont des fraudeurs, ils ont juste profité une fois d’une opportunité pour obtenir une deuxième carte d’identité, pratique en cas de perte de la première ».

« Un certain nombre de fraudeurs sont repérés, mais le fichier n’est jamais totalement propre. Or, si on ne prend pas le temps de le nettoyer, cela va perturber tout le processus », explique un diplomate.

« Lors des dernières élections, le nettoyage a notamment révélé une fraude dans la province du Sankuru, favorable à Joseph Kabila, où le nombre d’électeurs avait tout simplement doublé entre 2011 et 2018. Il ne faut pas oublier que le nombre de sièges à pourvoir dépend du nombre d’électeurs… », poursuit un expert.

Si le fichier électoral est acceptable, il faut donc procéder à la répartition des sièges. « Ce n’est pas que des mathématiques », prévient l’ancien collaborateur de la Ceni. « Il y a inévitablement des négociations politiques, des discussions et des blocages. Cette phase dure également plusieurs semaines, voire plus. Ensuite, il y a un retour devant le Parlement pour valider cette répartition, cela prend du temps et c’est assez inéluctable ».

Tout comme les délais imposés pour le dépôt des candidatures et l’examen des candidatures.

Ensuite, on entre dans la dernière ligne droite, totalement incompressible, celle de la campagne électorale (30 jours) et de la journée de repos avant le jour du scrutin.

« Si l’on tient compte du début des inscriptions à la mi-décembre, il reste moins d’un an avant le début de la campagne électorale. C’est absolument inimaginable dans un pays avec l’ampleur, l’insécurité et les dysfonctionnements de la RDC. Ils n’ont pas besoin d’un président de la Ceni, mais d’un Harry Potter gonflé à la potion magique », tente de sourire ce diplomate, qui ne cache d’ailleurs pas sa crainte d’une flambée de violence si l’élection n’est pas crédible.

Pour un autre expert, qui a travaillé un temps pour les Nations unies, le verdict est sans appel. « C’est impossible. Le président de la Ceni répète pourtant à qui veut l’entendre que 15 mois lui suffiraient amplement pour organiser ces élections, et il semble vraiment déterminé à les organiser dans ce délai, quels qu’en soient le coût, la qualité et la crédibilité. N’oublions pas que la Ceni a également mis tous ses œufs dans le même panier en commandant les machines à enregistrer et à voter au même fournisseur, Miru systems, qui avait livré les vôtres en 2018 et qui est basé en Corée du Sud, ce qui les expose à de longs délais de livraison et à un risque énorme en cas de difficultés chez ce seul fournisseur ».

Un peu plus de 15 mois avant les élections présidentielles, le doute plane donc largement sur la possibilité d’organiser des élections crédibles et dans les délais impartis. Selon un sondage de l’institut de sondage Target publié en août, une grande majorité des Congolais ne font pas confiance à la Ceni, imposée par l’équipe au pouvoir, pour organiser ces élections. Le chaos des élections de 2018, qui ont imposé Félix Tshisekedi comme président, est omniprésent et rien n’est fait pour rassurer les électeurs. (source : www.afrique.lalibre.be)