Tour de flux, pépinières, fermes pilotes… Différents projets ont été lancés pour mieux comprendre et préserver cette forêt essentielle dans la lutte contre le changement climatique.

Au-dessus de la canopée, des scientifiques étudient la forêt du bassin du Congo, tandis que dans les villages environnants, les agriculteurs se familiarisent avec des techniques de culture moins dévastatrices pour ce « poumon vert » menacé, essentiel à la lutte contre le changement climatique.

La « tour de flux » de 55 mètres de haut, qui permet de quantifier le carbone absorbé ou émis par la forêt, se dresse dans le décor luxuriant de la réserve de biosphère de Yangambi (province de la Tshopo), qui s’étend sur quelque 250.000 hectares sur les rives du fleuve Congo, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). Le site, connu pour ses recherches agricoles tropicales à l’époque de la colonisation belge, a accueilli cette semaine une réunion de scientifiques dans le cadre d’une « pré-COP » prévue début octobre à Kinshasa, en amont de la 27e conférence sur le climat (COP27) qui se tiendra en novembre en Égypte.

Il existe de nombreuses tours de flux dans le monde, mais il n’y en avait pas encore dans le bassin du Congo, « ce qui limitait la compréhension de cet écosystème et de son rôle dans le changement climatique », explique le chef de projet Thomas Sibret de l’Université de Gand (Belgique). Les mesures de la tour « CongoFlux », qui devrait être mise en service fin 2020, doivent encore être analysées sur une plus longue période », poursuit le scientifique, « mais une chose est sûre : cette forêt tropicale emmagasine plus de gaz à effet de serre qu’elle n’en émet.
« On parle souvent du premier poumon, l’Amazonie, et du second, le bassin du Congo », explique Paolo Cerutti, expert du Centre de recherche forestière internationale (Cifor) et responsable des opérations de cette organisation basée en Indonésie en RDC : « Mais il y a de plus en plus de preuves que l’Amazonie devient plutôt un émetteur. Nous misons donc beaucoup sur le bassin du Congo, notamment en RDC, où il y a 160 millions d’hectares de forêts encore capables d’absorber le carbone ».
« Il n’y a plus d’arbres »

Mais ici aussi, la forêt est menacée : « L’année dernière, le pays a perdu un demi-million d’hectares », poursuit Paolo Cerutti. L’exploitation industrielle ou illégale contribue à la déforestation, mais la raison principale est, selon lui, « l’agriculture itinérante sur brûlis ». Les villageois cultivent, récoltent et lorsque le sol s’appauvrit et que les rendements diminuent, ils vont plus loin, défrichent, brûlent et recommencent.

Avec l’explosion démographique, la forêt risque de disparaître. « Nous pensions qu’elle était inépuisable … Mais ici, il n’y a plus d’arbres », déplore Jean-Pierre Botomoito, chef de secteur à Yanonge, à 40 km de Yangambi. Il faut parcourir de longues distances à pied ou à vélo sur des sentiers étroits et boueux pour trouver les chenilles qui colonisent certains arbres et que les Congolais aiment manger. Ou pour obtenir de quoi fabriquer du charbon de bois, appelé « makala », qui, faute d’électricité, est abondamment utilisé pour la cuisine.

Depuis cinq ans, le projet Forets (Formation, Recherche, Environnement dans la Tshopo), financé en grande partie par l’Union européenne (UE), tente de sédentariser les paysans tout en leur permettant de mieux vivre de leurs champs et de la forêt. Les parcelles sont cultivées en alternance, le manioc et les arachides sont plantés entre des acacias à croissance rapide qui, après six ans, peuvent être utilisés pour la fabrication du makala.
Des pépinières assurent le reboisement. Une « ferme pilote » montre comment tirer le meilleur parti d’une exploitation, ici avec des ananas, là avec une porcherie. On explique aux bûcherons comment choisir les arbres. Les « fours améliorés » permettent d’obtenir davantage de makala. Pour le bois d’œuvre, une scierie est à la disposition des artisans légaux pour fabriquer de belles planches en afrormosia, bois rouge, iroko, kosipo… pour produire des bois d’œuvre.

Un laboratoire de biologie du bois aide à prédire l’évolution de la forêt. L’herbier, sanctuaire de milliers de plantes séchées collectées depuis les années 1930, a été rénové. Et les responsables du programme national de recherche sur les caféiers rêvent d’une renaissance de la filière café, mise à mal par la mauvaise gestion, les maladies et les conflits armés.
« Les moyens manquent »

« Nous sommes certes des agriculteurs, mais nous n’avions pas forcément les bonnes méthodes », reconnaît Jean Amis, responsable d’une organisation paysanne. Hélène Fatouma, présidente d’une association de femmes, est ravie de constater que les viviers autour desquels s’ébattent canards, poules et chèvres ont produit 1450 kg de poissons en six mois (contre 30 kg auparavant). Dans une clairière noircie, écrasée par la chaleur, Doloka, 18 ans, sort les braises d’un poêle encore fumant et se réjouit que « la forêt revienne près de la maison ».

D’autres villageois sont nettement moins enthousiastes. Certains pensent que la tour de flux vole l’oxygène, d’autres qu’on veut leur prendre leurs terres, des dendromètres fixés aux troncs d’arbres pour mesurer la croissance sont vandalisés, et certains chefs restent persuadés que les arbres repoussent tout seuls et que les programmes successifs n’enrichissent que leurs promoteurs.

Les équipes du Cifor espèrent que la sensibilisation et l’éducation viendront à bout des résistances. Dieu Merci Assumani, directeur du centre de recherche de l’Institut national pour l’étude et la recherche agronomique (Inera), veut même croire à « l’adhésion de tous ». Mais « les moyens manquent », regrette-t-il, déplorant que les communautés congolaises ne voient pas venir la « finance carbone » promise par les « pays pollueurs » en échange de la protection de la forêt. « Les engagements, c’est bien, mais il faut les payer », s’agace-t-il.

Interrogé sur la récente mise aux enchères de blocs pétroliers, dont un tout près de Yangambi, Assumani s’est dit favorable à l’exploitation pétrolière « dans le respect du principe de gestion durable ». Contrairement à certains écologistes, il estime que « ce sera une bonne chose » pour le pays et pour l’Afrique.