Dans le contexte de la 77e Assemblée générale des Nations unies, marquée par une polarisation sur l’Ukraine et la Russie, l’Afrique semble être passée au second plan. Pourtant, c’est sur son sol que se sont produites l’année dernière les dix crises de déplacement les plus négligées au monde.

Selon une ONG norvégienne d’aide aux réfugiés, qui identifie chaque année les dix crises les plus négligées au monde, celles-ci se trouvaient toutes en Afrique pour la première fois en 2021. Le Norwegian Refugee Council (NRC) mesure les situations en fonction de trois variables : « le manque de volonté politique internationale, le manque d’aide humanitaire et le manque d’intérêt des médias ».

Les pays les plus oubliés en 2021 sont, dans l’ordre : la République démocratique du Congo (RDC), le Burkina Faso, le Cameroun, le Soudan du Sud, le Tchad, le Mali, le Soudan, le Nigeria, le Burundi et l’Éthiopie. « Au vu de la polarisation autour de la guerre en Ukraine, qui se déroule sur le sol européen, je crains que les souffrances africaines ne soient encore plus reléguées au second plan », prévient Jan Egeland, secrétaire général du NRC.

La République démocratique du Congo – un cas pour l’école

Rien que la RDC comptera 5,5 millions de personnes déplacées et 1 million de réfugiés en 2021. Un cas d’école de la négligence internationale, malgré le déploiement coûteux de la Monusco depuis 1999, une mission de l’ONU aujourd’hui sur le départ. Alors que 27% de sa population souffrira de la faim en 2021, aucune réunion de haut niveau des pays donateurs sur la RDC n’a eu lieu et seuls 44% des 2 milliards de dollars américains d’aide humanitaire demandés par les Nations unies ont été accordés.
La situation s’est aggravée cette année avec la résurgence de la rébellion du M23 au Nord-Kivu, des tensions avec le Rwanda voisin et une insécurité alimentaire persistante. « Il s’agit de l’une des pires crises humanitaires du siècle », souligne Jan Egeland. Et pourtant, ceux qui ont le pouvoir de changer le cours des choses, en Afrique comme ailleurs, ferment les yeux sur les vagues d’attaques brutales et ciblées contre les civils, qui brisent les communautés ».

Terrorisme et migration : les priorités des donateurs dans la région du Sahel

Dans le Sahel central, pris dans une spirale de violence, de pauvreté et de changement climatique, le nombre de personnes déplacées a été multiplié par dix en moins de dix ans. Il est passé de 213.000 en 2013 à 2,6 millions fin 2021. Le bassin du lac Tchad se révèle particulièrement vulnérable. Selon l’ONG norvégienne, la protection des personnes déplacées y reste extrêmement pauvre, malgré la présence d’agences onusiennes.

La relative négligence du Sahel central est due au fait que les donateurs se préoccupent surtout de la situation sécuritaire et migratoire, en allouant des ressources à ces questions plutôt qu’à l’aide humanitaire », explique Richard Danziger, ancien directeur régional de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Quand on pense au Sahel, le terrorisme et la migration vers l’Europe via la Libye sont les premières choses qui viennent à l’esprit, et non les milliers de personnes déplacées qui ne peuvent pas se permettre de vivre sans aide. De plus, ce ne sont pas ces personnes déplacées qui ont les ressources pour traverser la Méditerranée ».

« Refonder les relations avec Paris et l’Europe ».

La prise de position d’une partie de l’Afrique lors du vote des Nations unies le 2 mars sur une résolution demandant que « la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine » ne risque-t-elle pas d’aggraver ce que l’on appelle la « fatigue des donateurs » ? Au total, 21 pays africains se sont abstenus, dont le Mali, le Soudan et le Soudan du Sud, ou n’étaient pas présents, comme le Burkina Faso, le Cameroun et l’Éthiopie. Les abstentionnistes, qui ont choisi le même chemin que l’Inde et la Chine, ont été interpellés mardi 20 septembre à la tribune des Nations unies par le président français Emmanuel Macron, qui a ensuite présidé un dîner sur le thème des inégalités Nord-Sud, plus que jamais à l’ordre du jour.

« Dans les forums, il est question d’un « rétrécissement de l’espace humanitaire » en Afrique », analyse Francis Akindès, sociologue à l’université de Bouaké, « en raison d’un changement de contexte politique. Dans leurs discours sur la période postcoloniale, les Africains francophones veulent redéfinir leur relation avec Paris et l’Europe. Du point de vue des pays de l’OCDE, la question est de savoir pourquoi ils mettent de l’argent en jeu alors qu’ils ont tant de problèmes avec l’Afrique en retour. Le message qui leur est renvoyé entre les lignes est que le continent peut se débrouiller avec ses crises. D’autant plus que la géopolitique mondiale semble marquée par un repli sur soi qui change tout dans la relation à l’autre ». L’évolution du monde autour d’un nouvel axe est-ouest contribue sans doute à la « fragmentation » d’une partie de l’Afrique, nouveau terreau de l’influence russe, y compris parmi les pays dont les crises sont les plus négligées.